QUAND NE PAS CHANGER D’AVIS EST UNE VERTU
Changer d’avis n’est pas communément considéré comme une preuve d’intelligence et cette attitude est perçue comme un aveu face aux autres que l’on s’est trompé. Il y a bien l’excuse des circonstances qui ont changé, mais le plus souvent ce n’est pas le cas. Alors ceux qui changent d’avis se réfugient dans la citation du proverbe : Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis.
Ne pas changer d’avis c’est être vu comme intelligent, cohérent dans ses idées, dans sa stratégie, et non facile à manipuler. Dire d’une personne qu’elle est une girouette, c’est la ridiculiser.
EN POLITIQUE…
Cette attitude se manifeste en politique par l’ironie qui accompagne ceux qui à chaque élection présidentielle changent de camp. Ils vivent généralement mal leur décision, obligés de se justifier devant les journalistes et de répondre à la question qui leur brûle les lèvres : mais il n’y a pas si longtemps vous avez dit le contraire, comment avez-vous changé d’avis ? La réponse ne se fait pas attendre : non, je n’ai pas changé ….. J’ai toujours…, etc. .Et de continuer pour conclure : ce sont les autres qui ont changé. Les électeurs eux-mêmes sont méfiants, car comment quelqu’un qui dit oui un jour, et dira le contraire le lendemain, peut-il inspirer la confiance ?
DANS LE DOMAINE ECONOMIQUE…SCIENTIFIQUE…
D’autres domaines que la politique sont les témoins de cette attitude, ceux de l’économie et de la connaissance scientifique.
Dans le domaine économique, les théories sont souvent portées et défendues par le sens de la raison et de la démonstration irréfutable. Ce qui n’était pas prévu, les crises par exemple, ne remet pas en cause les certitudes des théories économiques de ceux qui les soutiennent. La crise, ramenée au rang de l’infortune des prévisions météorologiques, est mise au rang des évènements imprévisibles : elles sont l’exception qui confirme la règle.
Les scientifiques ne sont pas épargnés : sans remonter aux débats de Copernic et de Galilée confirmant que la terre était ronde, à l’encontre de toutes les théories de l’époque défendues ardemment par l’Eglise Catholique Romaine, la science avance non pas par les changements d’opinion de ceux qui croient détenir la vérité mais grâce à de nouveaux savants qui leur opposent d’autres certitudes. Et leurs nouvelles théories ont vocation à être remises en cause.
L’histoire aussi apporte une réponse qui conforte l’idée que les changements passent par une phase de destruction de l’ordre ancien. Elle se construit par strates successives dont la dernière doit être, partiellement au moins, détruite pour donner naissance à une nouvelle ère. C’est la raison d’être des révolutions et des guerres qui apparaissent ainsi comme un mal nécessaire que Darwin, dans le domaine de l’évolution des espèces, a parfaitement illustré par sa théorie sur la sélection naturelle : c’est « l’évolution destructrice » qui ne s’impose qu’en faisant table rase du passé. Se pose alors la question, pourquoi les détenteurs du pourvoir ancien n’ont-ils pas prévu que leur entêtement allait sceller leur fin prochaine. La question peut être posée à nos derniers monarques de l’Ancien régime et, plus contemporains, à tous les dictateurs du monde actuel qui, du seul point de vue de l’expérience et de la statistique, devraient savoir que leur sort sera bientôt fixé, au mieux par une fuite ou un exil humiliant, au pire par leur assassinat.
POURQUOI LA CERTITUDE D’AVOIR RAISON EST ELLE PLUS FORTE QUE LE DOUTE ?
Socrate disait que le doute est le commencement de la sagesse. Or il semble que le doute soit la vertu la moins partagée. Pourquoi ? Il faut sans doute en rechercher l’origine dans le Siècle des Lumières qui depuis la fin du Moyen Age et de la Renaissance est le moteur du progrès scientifique et industriel, lui-même créateur de l’Etat moderne. Les scientifiques comme Newton, Diderot Voltaire ont laïcisé le progrès et donné à l’homme, seul, la responsabilité de sa destinée. L’homme, ce Prométhée moderne n’avait aucune raison de douter jusqu’à l’avènement des deux grands conflits mondiaux qui ont fait prendre conscience du péril qui menaçait le monde et des découverte des effets néfastes du progrès économique sur l’écologie et la survie de notre planète.
SERAIT-IL IMPOSSIBLE DE CHANGER D’AVIS ? LA CERTITUDE DE DETENIR LA VERITE EST ELLE UN FREIN AU PROGRES ? ET SI CELUI QUI CHANGE D’AVIS MANIFESTAIT UNE PREUVE D’INTELLIGENCE ?
Les avantages de cette nouvelle attitude seraient très grands :
Dans le domaine politique, elle favoriserait une plus grande cohésion des citoyens, dont les uns n’auraient à pas se sentir exclus dans une opposition, combattive certes, mais souvent stérile, après chaque élection nationale et les autres installés dans une confortable certitude mêlée de l’arrogance du vainqueur. Les citoyens s’en rendent compte peu à peu et appellent de leur vœux que les clivages droite-gauche disparaissent, tant ils constatent que le gouvernement d’un Pays est impuissant à rendre ses réformes efficaces dans une économie mondialisée.
L’avenir n’appartient plus aux nations mais aux regroupements des nations par la formation des structures de décisions transfrontalières, telles les institutions Fédérales et à terme mondiales.
Ceci ne signifie pas la disparition des nations et de l’esprit national qui est nécessaire à maintenir les liens de solidarité au sein d’une même communauté de culture et de langues. L’éduction, la justice et la sécurité resteront dans le cadre de chaque nation. Mais désormais les décisions macro-économiques, la monnaie, la régulation du commerce et des échanges internationaux s’éloigneront des citoyens.
Dans le domaine des sciences, et celui de l’économie, l’on sait qu’il n’existe plus de certitude et que le progrès sera désormais d’avantage le fruit de la coopération que de la lutte solitaire du savant.
Ce courant de pensée semble être en marche dans de récents comportements des relations entre la France et l’Allemagne, malgré les tensions qui ont animé le changement de Président en France. L’idée se fait jour que les négociations doivent se faire sur des compromis où le gagnant n’est pas l’un ou l’autre des partenaires mais les peuples qu’ils représentent. Changer d’avis rend aussi l’esprit plus léger car ceux qui ne partageaient pas les mêmes idées sur la politique à suivre ont chacun l’impression d’avoir gagné. C’est l’attitude de la médiation qui s’impose et remplacera dans l’avenir le règlement des conflits, c'est-à-dire des avis opposés par la voie judiciaire. Savoir entrer en médiation c’est avoir perdu la certitude d’être le seul à avoir raison.